Peau de Mille Bêtes

Stéphane FERT chez Delcourt

J’avais découvert Stéphane FERT, avec Morgane, chez Delcourt en 2016. Le récit était un magnifique pied de nez à tous les récits arthuriens et à leurs réécritures, en replaçant au centre du récit, l’héroïne de l’histoire : Morgane la fée, la traitresse, la femme fatale, celle qui entrainait Arthur dans une relation incestueuse et détournait Mordred de son père.

Ah lala, toutes des garces.

Sauf que,

Morgane, à la base, était la fille d’Uther, donc héritière légitime du trône, bien avant qu’Arthur ne vienne salir ses braies et se pavaner avec une épée qui ne lui appartenait pas. Et la remettre au cœur de l’histoire est un acte non pas revanchard ou activiste, mais simplement rappeler que depuis Thomas Mallory, ben notre société a évolué.

L’histoire est sombre, charnelle, et la violence parfaitement rendue sous des airs de récit onirique. Il s’y joue un parfait mélange de la maitrise du récit de Simon Kansara, et du dessin presque abstrait de Stéphane Fert. La BD m’avait marqué par sa modernité, ne rendant son personnage ni victime ni angélique, mais réclamant sa juste place dans un monde qui ne la reconnait pas. Et c’est là que le mélange de dessin fantastique de Stéphane FERT et les aspirations très moderne faisait mouche, mettant cette distance avec le discours rationnel et amplifiant les émotions. Enfin, bref, vous avez compris, j’avais vraiment accroché.

Et là, je viens de découvrir avec beaucoup de retard :

Peau de Mille Bêtes

Tadadammm

Cette fois le récit est écrit à une seule voix, celle de Stéphane FERT tout seul.

Mais quelle voix

D’abord, le récit :

Sur un schéma ressemblant à celui de Peau d’Âne, c’est l’histoire de Ronce, qui était pour sa mère, plus douce que les fruits et pour son père, aussi charmante qu’une ortie. Mais paradoxalement, Ronce n’apparait qu’en page 18. Car pour faire une histoire, il faut un contexte. Et puis, il n’y a pas que le point de vue de Ronce, il y a aussi celui du prince charmant, parce que là aussi, il n’y a pas de systématisation des rôles. Après tout, dans une bonne histoire, les stéréotypes sont inutiles, les nuances peuvent exister, les points de vue diverger, on est grands, on peut comprendre les différentes tonalités. Un récit ne prend vraiment le large que lorsqu’il sort des sentiers battus.

Ensuite, le dessin :

Alors là, ce n’est pas du dessin, c’est de la peinture. Imaginez Gauguin en train de faire de la BD. Chaque page à son camaïeu, chaque personnage ses couleurs, rien n’est réaliste, mais tout est expressif. Les héros ne sont pas idéalisés, pas forcément magnifiés, mais sont absolument présents dans leurs défauts et leurs formes. Stéphane FERT est un coloriste, un Nabi, et nous, on en prend plein les yeux.

Récit initiatique pour les enfants, histoire d’une révélation de soi pour les adultes, Peau de Mille Bêtes est bien supérieur à tous les livres de développement personnel. Il fait rêver, il pousse à s’affirmer, et il sort le conte de fées des ses propres ornières pour en faire une ode à l’humanité (et aux beignets de limaces à la confiture).

Bref, 115 pages de bonheur.

(Accessoirement, lisez aussi « Blanc autour », c’est vachement bien).