1er prix adulte : Les pierres d’Oniris, de Clélia SÈVE

Elle prit son petit sac de toile contenant les pierres rouges gravées de signes dorés.

Concentrée, elle tira cinq pierres et les disposa précisément sur la table devant elle. Chaque apparition s’accompagnait d’un froncement de sourcils.

– Grand-mère, osai-je dire.

– Pas maintenant, me répondit-elle, je dois écouter l’oracle.

Je me tus et patientai. Elle nommait les pierres selon notre alphabet, le Futhark, et parlait à voix basse de son destin. Quand elle eut fini, je demandai :

– Grand-mère, qui t’a offert tes jolies runes ? Mes yeux brillaient en convoitant les symboles dorés. Son regard azur se posa longuement sur moi.

– Abaigh, je vais te raconter la légende de Dragomaï, me dit-elle.

– Dragomaï ? Le terrible dragon ? J’ai entendu des grands y jouer, ils se battaient.

– Ce n’était pas n’importe quel dragon ! Jadis, il y avait des grottes qui chantaient. Du chant de ces grottes naquirent les dragons. Créatures des éléments, ils y obéissaient autant qu’ils les manoeuvraient. Le premier d’entre eux à vivre au royaume d’Oniris était Dragomaï. Il était de loin le plus impressionnant d’entre eux. Sa tête était ornée de pointes, tout comme le bout de ses ailes, ainsi que son épine dorsale. Il avait des griffes redoutables, capables de lacérer la terre. Ses yeux dorés ressemblaient à ceux d’un chat, mais ils étaient entourés de pics. Son corps était recouvert d’écailles, celles de son dos étaient d’argent, tandis que son abdomen en était dépourvu. La peau de ses ailes immenses aurait pu servir à confectionner des boucliers tant son cuir était dur. Enfin sa longue queue qui lui permettait de naviguer en vol, lui servait de fouet mortel car couvert de lames tranchantes.

– Brrr, dis-je, ça ne donne pas envie de le rencontrer, grand-ma.

– Et pourtant, Dragomaï n’était ni bon ni mauvais et vivait en accord avec tout ce qui était.

 

Puis les hommes apparurent dans ce royaume. Ils cohabitèrent dans un premier temps avec les êtres magiques. Un soir qu’il survolait le village, Dragomaï, ému par le chant des femmes, versa quelques larmes qui se transformèrent en opales bleutées. Il les offrit aux hommes. Ce fut le début du malheur dans le village. Certains cœurs avides décidèrent d’obtenir plus du dragon. Une expédition d’hommes cruels partit contre l’avis de tous pour le tuer. Il ne se méfia pas et fut rapidement exécuté. De son corps, ils n’extrairent aucun trésor évidemment.

Tu te doutes bien mon enfant, que la magie de la nature résidait en son souffle de vie et non dans ses entrailles.

– Et les autres dragons, grand-mère ? Qu’est-ce qui leur arriva ?

– La horde se retira dans les Monts de Brumes et les attaques contre les villageois commencèrent. Pas un jour sans que les terribles sauriens ailés ne mettent le feu à une partie des habitations, ne tuent du bétail, ne saccagent les champs. Les hommes avaient pu massacrer un dragon par surprise, mais ils ne pouvaient lutter contre la rage meurtrière d’une dizaine de créatures terrifiantes.

– Et alors ? Ils finirent par tous les tuer ?

– Non. Un petit garçon du nom d’Arlio et son amie Liley décidèrent un jour de rendre aux dragons les opales de la discorde. Ils réussirent à les voler dans la Salle des Larmes du Conseil, marchèrent longtemps à travers les bois. La végétation avait choisi son camp et les enfants furent freinés et blessés par les arbres. Ils voulurent se rafraîchir au ruisseau mais le lit de la rivière se mit à gronder et ils préférèrent s’enfuir. Arrivés à la grotte de la cascade renversée, ils n’eurent d’autre choix que de descendre dans l’obscurité tiède de la caverne. Par malheur Liley glissa dans le noir et mouilla son pied dans le filet d’eau.

Aussitôt elle fut séparée d’Arlio par l’écume vaporeuse du ruisseau. Elle fut enveloppée dans un cocon debrume et s’endormit pour toujours.

– Elle a fini par se réveiller, dis ?

– Non hélas. La courageuse Liley disparut à jamais dans la grotte, et Arlio le coeur brisé dut continuer son chemin. Il arriva au royaume d’Oniris et fut la proie des flammes des dragons car il était un petit d’homme. Ils ne l’épargnèrent que de peu.

– Pourquoi ne l’ont-ils pas tué, grand-ma ?

– Ils ressentirent les opales dans sa besace. Quand il revint à lui dans l’antre des créatures, la horde lui rendit les gemmes laiteuses en disant qu’ils étaient quittes. Liley contre Dragomaï, même si rien ne pouvait guérir leur chagrin.

– C’est tout ? Et Arlio, il resta prisonnier des dragons ?

– Non ! rit ma grand-mère. Arlio fut déposé par le nouveau chef du clan Cithruadh, sur le rivage. Il ordonna à Arlio de jeter les opales à la mer.

– Pourquoi ? Pour qu’enfin les pierres du malheur disparaissent ?

– D’une certaine manière oui, ma chérie. Les larmes de Dragomaï furent couvertes par l’eau qui se mit à bouillir et à rougir. Puis elle se retira et laissa apparaître 24 pierres de gorgonerouge.

– Ah bon ? Mais…

– Pourquoi, n’est-ce-pas ? Cithruadh le fils de Dragomaï expliqua à Arlio dans un sifflement terrible de prendre soin de ce présent. La gorgone en elle-même n’avait que peu de valeur, futil obligé de préciser. Arlio ramassa les pierres et s’aperçut qu’elles étaient gravées de signes d’or.

Ma grand-mère s’interrompit à ce moment-là et regarda ses pierres devant elle.

– Des runes ? m’exclamai-je.

– Oui. Voici la réponse à ta question mon enfant. Les runes nous viennent de la nature, par l’intermédiaire de ses créatures les plus magiques. Vois-tu, le plus beau cadeau que pouvait nous faire le descendant de Dragomaï, c’était notre alphabet. Grâce à lui, Arlio et Liley ont été choisis pour raconter l’histoire d’Oniris, de ses seigneurs, et des hommes. Il nous a ainsi ouvert les portes du Savoir pour lutter contre la barbarie et l’oubli.

Je restai rêveuse. Ma grand-mère avait rangé ses cailloux, les runes lui avaient dit de tenir bon face à l’orage et d’agir avec prudence.

– Dis Grand-ma, demandai-je encore. Arlio, le petit garçon, c’est drôle, c’est comme le prénom de ton grand-pa à toi.

– Oui, dit-elle dans un sourire malicieux, en effet, c’est drôle.