2e prix adulte : À la perte de mon humanité, de Radja ABDELSADOK

Depuis des temps immémoriaux, ne restait de la magie que le mot. Et les villageois vivaient dans une terreur perpétuelle, redoutant le retour des Dragons qui les terrassaient jadis.

Et c’est à cette époque qu’une guerre sanglante fit rage. Mes frères d’armes avaient vaillamment combattu mais j’étais l’ultime survivant.

Un étau de tristesse m’étreignait, m’empêchant de pleurer les martyrs. C’était la fin de la journée et un paysage de désolation m’encerclait. Je pataugeais à travers les âmes décimées, au creux de la vallée et la neige recouvrait les corps tel un pur linceul. Il ne restait que moi traversant les ruines de ce combat lourd en pertes, à la recherche de vie. J’étais écœuré par le sang qui emplissait l’air d’une odeur âcre, rubescent tel un ancien vestige de denrée vitale.

Je déambulais désespérément en me disant que j’allais de pair avec ce tableau sordide. Je devais avoir piètre allure malgré ma vingtaine d’années. En effet, ma belle stature ployait sous les armes.

Mes vêtements étaient emplis de crasse, d’un mélange de boue, de neige fondue et de sang. Mes cheveux noirs de jais dégoulinaient de sueur en contrastant avec mes yeux verts qui scrutaient l’horizon d’un regard perçant.

Soudain, je m’écroulai sur un corps, j’avais titubé sur une main coupée. « Toutes ces batailles ont-elles vraiment un sens quand on sait que tous les empires se succéderont toujours avec leur lot de sang et de consternation ? » Pensais-je avec amertume.

 La guerre est un bon moyen de sélectionner les Humains, elle n’en garde que les meilleurs.

Non ! La guerre ce n’est pas cela, je n’avais tout de même pas pensé ceci ? Si ? Ce devait seulement être la fatigue qui m’embrumait les idées.

Les morts s’étendaient à perte de vue, une jambe ployant par-ci, une tête éclatée par-là, une poitrine écartelée là-bas, un visage aux orbites écarquillées plus loin. Mais pourquoi tout ce massacre ? Et au final, la guerre ne serait-elle pas un moyen de légaliser la bestialité humaine ?

   Les Humains, trop couards pour assumer leurs faiblesses, se cherchent des excuses. Mais ils ne valent pas mieux que des lionceaux se mordant mutuellement pour une petite cuisse de zèbre amère.

D’où me venaient ses idées moroses? L’expérience de ma première guerre aurait-elle une influence sur mon psychisme?

  La race humaine ne vaut rien, elle manque cruellement de sagesse, de noblesse, de cran et surtout de magie.

Il fallait que je me calme. Je m’assis à même le sol, levant les yeux vers le blanc cotonneux du ciel, bercé par le chant sinistre des rares corbeaux. Un vent glacé me cinglait le visage. Et c’est sur cette flopée de pensées que mon regard se voila,  tu as un avenir jalonné d’épreuves qui t’attend pauvre humain méprisable, mon corps entier se paralysa,  seras-tu assez fort pour défier la puissance de ta lignée?

Si je dois mourir maintenant alors que ce soit avec souffrance et honneur en exutoire de ma culpabilité. Aurais-je une double personnalité ? Quelle était donc cette présence qui s’insinuait en mon esprit? Tellement harassé par les combats menés, je ne pouvais plus lutter.

                                             Lâche, jusqu’au bout.

Que cette voix soit Satan ou même Merlin, elle avait raison sur ce point : je devais affronter mon destin.

                                 Bonne initiative imbécile, mais en es-tu certain ?

Oui, je changerais ce monde corrompu, la guerre ne fait que répandre le mal et la vengeance.

   Le mal n’existe pas, il n’y a que ce qui doit être fait pour l’évolution du monde et la continuité des Races.

Je me réveillai en sursaut de ma méditation, le corps parsemé de spasmes, avais-je rêvé ?

      Même si la frontière entre la réalité et le rêve est souvent floue,  je peux t’assurer que tout ceci  est bien réel.

Je m’affalais sur la neige, noyé par les ténèbres de la rancœur. La nuit était tombée, et tous mes sens étaient en alerte. Mon corps entier était endolori, dominé par des soubresauts inexplicables.

                                    Alors tu veux toujours combattre ton Destin ?

 La tête me tournait, cette chose allait m’aliéner tôt ou tard, mon regard se faisait flou. Torturé mentalement, je n’avais pas senti les morsures que quelque chose d’inconnu m’avait faites : un liquide poisseux suintait par tous les pores de ma peau.

La souffrance atteint son paroxysme. Je levais un regard implorant vers le ciel quand ce fut avec stupéfaction que je découvris la créature mythique, tant redoutée dans nos contrées, qui me faisait face dans toute sa splendeur.

Des pattes serties de serres tranchantes, des écailles miroitant d’un dégradé de bleu métallique à un pâle argenté, des ailes d’envergure impressionnantes se déployaient. Effrayé et hébété face à cette apparition soudaine, je ne pouvais en détacher les yeux.

Le Dragon me fixait avec intelligence de ces yeux topaze en fusion. Un dernier sourire craquela mes lèvres gercées par le froid. Tu me défies humain ? Une lueur de triomphe malsaine scintillait à travers son regard hypnotique. Il s’exprima pour la première et la dernière fois de mon existence humaine, d’une voix suave, profonde et mesurée aux intonations envoûtantes « L’ère des Sangs Purs peut enfin reprendre le cours de l’Histoire »

Je remarquais alors qu’il se léchait les babines avec ce qui semblait être du sang qui luisait dans la nuit telle une poudre de magie originelle.

Soudain, la colère contenue jusqu’alors embrasa mon corps, je m’élançais vers la bête avec rage. Je ne savais que faire, je courais vers lui, comme vers mon ultime espoir, puis ma vision changea. Je distinguais tout avec une netteté nouvelle. Je m’élevais donc en déversant toute ma haine sur ce monde perdu, en un rugissement strident qui aurait pu réveiller les morts.

J’étais enfin libéré et ce fut comme si je l’avais su depuis le début : dès lors que j’avais compris et répondu à l’appel du Dragon, je faisais déjà partie de son espèce.

D’autres apparurent, tournoyant autour de moi, comme revivifiés par un ancien sortilège

                                   L’Homme ne se suffit ni à lui, ni à ses semblables.

                                       La quête sanglante ne fait que commencer.